A l’évocation de Bernard Buffet, les premiers mots qui ressortent unanimement ne présagent rien de gai. En effet, l’artiste peintre aux 8000 œuvres jouit encore aujourd’hui d’une image sombre et mélancolique, celui d’un homme qui n’a jamais réussi à être heureux. Après une ascension fulgurante, celui qui aimait peindre des clowns a connu une chute tout aussi rapide, chute dont il n’est pas parvenu à se relever. Bernard Buffet est né en 1928 à Paris. Issu de la petite bourgeoisie, c’est presque tout naturellement qu’il se découvre un gout prononcé pour l’art, remportant même le concours d’entrée de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts à seulement 15 ans. Il expose son premier tableau, un autoportrait quelques années plus tard.
Bernard Buffet que l’on pourrait comparer à Françoise Sagan en raison de son succès précoce et foudroyant, et tant il aimait les belles choses et l’argent, n’avait de plus grand ennemi que lui-même. En dépit de son succès, de son talent et de l’attrait du public pour ses œuvres, Bernard Buffet avait pour habitude de ne peindre que des tableaux qui transpirent la mélancolie et la tristesse.
L’art au service de l’expression d’un mal être
Après des premières années au sommet de sa gloire, Bernard Buffet, a connu des échecs et notamment une rupture avec Pierre Bergé, qui lui a préféré Yves Saint Laurent. A l’examen de ses différentes œuvres, une tristesse notable en ressort alors même que certains sujets peints tendent à l’humour. C’est le cas pour les clowns, sujet très largement exploité par Bernard Buffet qui a réalisé toute une série de clowns qui pour la plupart se voulaient tristes. Paradoxe d’une vie à la fois belle et tragique, ses clowns expriment un spleen commun à ses différentes œuvres.
Artiste dérangé, parfois sombre, Bernard Buffet s’est éloigné de la vie mondaine pour adopter un mode de vie solitaire, jonglant entre une surproduction d’œuvres et son amour pour sa muse Annabel Schwob. Mis de côté par ses pairs et par le monde artistique, Bernard Buffet ne se reconnait pas ou plus dans ses contemporains et choisi de continuer à peindre ses émotions et sa mélancolie, au risque de se retrouver au ban de la société. Celui dont son ami Jean Cocteau comparait l’œuvre à une « douleur peinte avec joie » continue de peindre des paysages, des animaux, des nature-mortes et bien évidemment des clowns.
Atteint de la maladie de Parkinson, qui à la longue lui aurait fait perdre ses facultés artistiques, son unique essence et sa raison de vivre, Bernard Buffet n’a cessé de décliner, dépérir pour finir par sombrer.
Mort tragique
Sa mort, à la fois théâtrale et tragique a été bien orchestrée. Bernard Buffet s’est suicidé par asphyxie le 4 octobre 1999 dans son atelier du Var. La mise en scène a atteint son paroxysme puisque l’artiste a utilisé un sac en plastique noir sur lequel était imprimé son nom dans sa calligraphie. Comble de l’horreur pour le peintre qui avait tout pour être heureux mais qui n’a jamais réussi à toucher le bonheur, malgré sa notoriété, sa richesse et l’amour de sa muse. Son suicide, bien que prévisible reste scandaleux et brutal et ne suscite malheureusement pour lui pas d’onde choc dans le monde de la peinture, qui reste indifférent au décès de l’un des plus grands peintres du siècle. Il rejoint ainsi un autre peintre figurant dans le classement des dix meilleurs peintres de l’après-guerre, Nicolas de Stael, qui s’est également suicidé dans son atelier.
Bernard Buffet laisse derrière lui près de 8000 œuvres, peintures, illustrations, dessins, gravures, lithographies, décors ou encore sculptures et une image écorchée par une fin de vie tragique. Souvent discuté en raison de la nature de ses œuvres, il reste aujourd’hui l’un de plus grand peintre de sa génération et continue de fasciner aux quatre coins du monde. En témoigne les différentes expositions de ses œuvres au Japon et en Russie et la rétrospective que lui a consacré le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 2016.
La relecture de ses œuvres laisse entrevoir une sensibilité extrême et un génie incompris pour son époque. Ponctuée d’excès, sa vie n’a pas connu l’écho nécessaire dans une société d’après-guerre plus sensible à l’abstrait de Pierre Soulages qu’à la misère d’un Bernard Buffet.